Retour au pays Natal (d’Anh Mat)
Un travail réalisé par l’auteur Anh Mat.
Nous nous connaissons depuis quelques temps maintenant. Fin 2022, il m’a proposé de composer la musique pour un texte important à ses yeux.
Une fois encore, ouvrir la fenêtre sur l’intérieur. Prenez place dit-il timidement. Y’a pas foule à l’embarquement, deux trois âmes errantes tombées ici par hasard, à bout d’insomnie… la plupart quitteront l’appareil en route. D’autres s’endormiront. Il n’y aurait personne que le film commencerait seul. Si M. s’obstine à publier des mots, des images, de la voix, c’est qu’il veut encore croire en une adresse fidèle, à l’écoute, adresse dont il doute toujours de l’existence : écrire est un acte de foi.
Il n’attend rien du retour, ni traces à retrouver, ni preuves à inventer. M. n’ira pas fouiller dans le puits d’une impossible biographie, non, il fera juste un film saisissant du présent en train de se trahir, un film suivant à son insu un personnage… et les fantômes de sa présence passée.
M. n’est pas pressé d’arriver. Il espère secrètement être retardé de quelques jours. Entre ici et là-bas, la tête à l’envers, sans jour ni nuit, engagé au couloir infini de l’errance, chaque pas est dépourvu d’angoisse. Le regard aveuglé par les néons des boutiques duty free, il joue à deviner l’origine des accents, des paroles furtivement saisies, et sans raison certaine, au plus fort du brouhaha des langues du monde mélangées, M. se sent enfin chez lui, apaisé.
Il passe les heures de transit ainsi, sans un mot, pas même pour dire bonjour ou merci, tout juste quelques hochements de tête. Serveurs et caissiers le croient probablement muet. Durant tout le trajet, M. ne lâche pas son livre de poésie, c’est là l’unique issue de secours où s’échapper, si besoin. Mais il ne l’ouvrira pas une seule fois, la présence du livre suffit, comme l’idée du suicide suffit, parfois, pour supporter l’existence qui continue de passer au poignet. Quelle heure est-il ? Saigon est déjà loin…
(Texte intégral chez les Cosaques )